Au cœur du vaste panthéon hindou, où chaque sentiment et chaque instant de l'existence trouve un écho dans le divin, vit une déesse dont le nom murmure la douceur d'une berceuse : Shashthi. Elle n'est pas la plus puissante, ni la plus célèbre, mais son rôle est peut-être le plus touchant, car elle est la gardienne attitrée des rires cristallins, des premiers pas hésitants et des sommeils paisibles. Shashthi est la divine protectrice des enfants, celle à qui les parents confient leurs trésors les plus précieux.
Son nom, Shashthi, qui signifie « la sixième », est une clé qui ouvre la porte de son royaume. Il fait référence à ce jour si particulier, le sixième jour après la naissance, où la vie d'un nouveau-né est encore fragile comme une bulle de lumière et où l'âme d'une mère flotte entre épuisement et bonheur absolu. Dans la tradition, ce jour était considéré comme un seuil critique, un moment où les forces de l'ombre pouvaient rôder autour du berceau. C'est à ce moment précis que l'on invoque Shashthi, pour qu'elle étende son voile de protection sur la mère et l'enfant, qu'elle assure la santé du nourrisson et qu'elle bénisse la maisonnée d'une fertitude durable.
On raconte son origine dans des textes anciens, aux pages jaunies par le temps et la dévotion. Certaines légendes murmurent qu'elle est née de la compassion infinie du dieu créateur Brahmā, ému aux larmes par la vulnérabilité des nouveau-nés. D'autres histoires, plus sombres et plus humaines, content qu'elle aurait connu la douleur ultime, celle de perdre ses propres enfants. De cette souffrance serait née une détermination absolue : devenir pour l'éternité la mère de substitution de tous les petits, celle qui veillerait sans relâche pour qu'aucun parent ne connaisse son chagrin. Elle est donc à la fois une déesse de la joie pure et une figure qui comprend intimement l'angoisse parentale.
Si l'on avait la chance de croiser son apparition, on la reconnaîtrait entre mille. Elle chevauche avec une grâce souveraine une créature aussi surprenante que symbolique : un grand chat, souvent noir ou blanc, au regard perçant et aux muscles souples. Cet animal n'est pas un simple compagnon ; il est un message. Dans l'imaginaire indien, le chat est le gardien du foyer, celui qui chasse sans pitié les rongeurs et les serpents, métaphores des dangers invisibles et des maladies qui menacent l'innocence. Monter un chat, c'est signifier qu'elle est agile, vigilante et toujours prête à bondir pour défendre ceux qui lui sont confiés. Dans ses bras, elle serre tendrement contre son cœur un ou plusieurs nourrissons, dans une pose qui ne laisse aucun doute sur sa vocation.
La vénération qui lui est portée est des plus concrètes, tissée dans le quotidien des familles. Elle n'exige pas de temples grandioses ; son sanctuaire est la chambre de l'enfant, la cuisine où l'on prépare les offrandes, le cœur inquiet des parents. Le sixième jour après une naissance, la maison est purifiée, ornée de guirlandes. Les femmes de la famille, souvent la mère elle-même, jeûnent et prient avec une ferveur particulière. On prépare avec amour de petites offrandes : des fruits juteux, des douceurs parfumées au miel et au lait, de petites lampes à huile dont la flamme vacillante porte les prières jusqu'à elle. Parfois, une attention particulière est même portée à son fidèle destrier, avec une offrande déposée à l'intention du chat, pour s'assurer sa bienveillance.
Ainsi, Shashthi demeure bien plus qu'une entité mythologique lointaine. Elle est une présence rassurante, une promesse divine murmurée à l'oreille des nouveau-nés. Elle incarne l'instinct primal de protection, l'amour inconditionnel qui pousse un parent à vouloir interposer son corps entre son enfant et le monde. Dans un frémissement de sari et un ronronnement apaisant, Shashthi, la femme, la mère, la déesse, veille sans fin, rappelant que les prières les plus ferventes sont souvent celles qui sont chuchotées pour la protection d'un enfant.